27 août 1664 : création de la Compagnie des Indes

La naissance de la Compagnie royale des Indes Orientales, le 27 août 1664, est le fruit d’un long concours de circonstances, d’une fascination asiatique et d’un solide malentendu. Elle résulte du surgissement de Jean-Baptiste Colbert à la tête de l’organigramme politique de Louis XIV.

Elle incarne le virage maritime et commerciale insufflé dès 1661 après la chute de Nicolas Fouquet. La déclaration d’août 1664 est l’acte I de l’histoire de la Gallia Orientalis qui se définira bientôt autour des places de Pondichéry et Chandernagor, le long des côtes de Malabar et Coromandel et dans les Mascareignes. Pourtant, 1664 porte déjà les stigmates des difficultés à venir sur le chemin qu’il reste à parcourir.

Lire entre les lignes des lettres patentes du 27 août 1664 : l’ombre de Colbert

Au début du XVIIe siècle, le France accuse un retard certain en matière navale et commerciale. Effectivement, malgré ses trois façades maritimes, le royaume de Louis XIV semble avoir manqué son départ ultra-marin.

L’Europe et les épices : la préhistoire de la Compagnie des Indes (premier 17e siècle)

En 1664, cela fait déjà plus d’un demi-siècle que les Anglais, Portugais et Hollandais ont pris le chemin de l’Orient. Leur route maritime est établie, leurs comptoirs sont déjà en place, les épices sont ramenées par leurs vaisseaux et vendues à prix d’or en Europe.

Les réussites financières de la VOC (compagnie hollandaise -1602) et de l’EIC (compagnie anglaise – 1600) rappellent à la France qu’elle est exclue du commerce international. Et pourtant, elles sont nombreuses ces éphémères compagnies françaises, aujourd’hui quasiment oubliées, qui ont tenté l’expérience orientale, sans véritable pérennité.

Colbert contre Fouquet : les deux visages d’une politique maritime française (1661)

Le 27 août 1664 n’aurait pas eu lieu sans le 5 septembre 1661

Ce jour-là, Nicolas Fouquet, surintendant des finances, est arrêté à Nantes pour être jugé au sein d’une chambre de Justice. De 1661 à 1664, la longue chute de Fouquet retentit formidablement.

Il faut dire que le surintendant était jusqu’alors un homme puissant sur les plans politique, financier et maritime. Il possédait une large flotte, quelques îles bretonnes, disposait d’un réseau puissant dans la marine et avait des parts dans de nombreuses compagnies.

Portrait de Nicolas Fouquet
Portrait de Nicolas Fouquet par Charles Le Brun
Château de Vaux-le-Vicomte
Portrait de Jean-Baptiste Colbert par P. de Champaigne
Jean-Baptiste Colbert par Philippe de Champaigne (1655) Métropolitan Museum of Art

Fouquet : l’antithèse de Colbert

Fouquet aime le luxe et l’ostentation, Colbert se complait dans le travail et le silence. Fouquet est mondain, Colbert est solitaire. Fouquet a l’âme d’un armateur, Colbert se méfie des négociants. Fouquet se passionne pour les Antilles, Colbert est fasciné par l’océan Indien.

Mais surtout, pour Fouquet l’État est un moyen, pour Colbert c’est une finalité. Quand Fouquet chute, Colbert triomphe. Le pouvoir royal se réapproprie alors toute l’institution maritime. La Compagnie des Indes nait de cela.

Monopole et privilèges : la déclaration royale du 27 août 1664

C’est ainsi que le 27 août 1664, les lettres patentes (enregistrées le 1er septembre au Parlement de Paris) constituent le socle de la création de la Compagnie royale des Indes. La déclaration, comportant 48 articles, fixe les grands principes de fonctionnement :

  • La Chambre générale (organe de direction) comporte 21 directeurs et siège à Paris ;
  • Le monopole de toute la navigation, depuis le Cap de Bonne Espérance jusqu’à l’océan Indien, est accordé pour 50 ans (article 27) ;
  • La propriété de la Justice et de la Seigneurie est déléguée sur toutes les terres et places qui seront conquises en Orient (article 28) ;
  • La guerre et la paix avec les souverains des Indes seront traitées par les ambassadeurs au nom de roi de France (article 36) ;
  • Les vaisseaux seront armés en guerre et défendus par les officiers royaux de France en cas d’insulte ou de conflit (article 47 et 60) ;
  • Les armoiries orneront sceaux et cachets et seront apposées sur les canons, vaisseaux et édifices.

Créer une Compagnie au nom du roi : l’exception française

Là où la France se distingue, c’est dans les coulisses de la déclaration de 1664. En Angleterre et aux Pays-Bas, les Compagnies avaient été imaginées par des marchands qui avaient mis en commun leur argent, leurs navires et leur savoir-faire. Très rapidement, ils s’étaient partagés les bénéfices, avaient pris les décisions de manière collégiale et élu leurs représentants. Mais Colbert, qui ne fait pas confiance aux négociants, maintient la Compagnie des Indes dans un giron royal.

Armoiries de la Compagnie des Indes, écusson sur fond d'azur, lys d'or, branches de palme et d'olivier.
Armoiries de la Compagnie : écusson rond sur fond d’azur chargé d’une fleur de lys d’or enfermé de deux branches, l’une de palme l’autre d’olivier avec pour devise Forebo quocumque ferar.

La caution du roi ; la volonté du ministre

La Compagnie est donc dirigée par le roi. Mais Louis XIV est un souverain qui tourne le dos à la mer. Monarque profondément terrien, passionné par la frontière et le territoire, Louis XIV est plus attentif à son agriculture (pour enrayer les famines) qu’à la navigation.

Par conséquent, de la même manière que Fouquet avant sa chute, Colbert a tous les pouvoirs, tant d’un point de vue maritime que financier. Unique intendant des finances et ministre de la Marine, il devient le président perpétuel de la Compagnie des Indes.

Convaincu que la raison d’État prime sur la logique économique, Colbert crée sa Compagnie autour d’une mise en scène. Les marchands et financiers qui « supplient très humblement le roi » en mai 1664 de leur accorder « l’établissement d’une Compagnie », sont en réalité pilotés par le ministre. La Compagnie des Indes n’est pas née de la volonté des marchands, mais de l’ambition de Colbert.

L’entreprise des Indes et le projet global

Le 27 août 1664 ne se résume pas à la Compagnie des Indes Orientales. Le même jour nait la Compagnie des Indes Occidentales. Destinée à couvrir les île d’Amérique, elle surgit telle une jumelle vigoureuse de la Compagnie des Indes Orientales. Sont ensuite créées la Compagnie du Nord (1669) puis celle du Levant (1670).

À chaque fois, ces compagnies ont le monopole de la route, de l’installation et des produits. Elles jouissent d’exemption de taxes et d’une délégation de souveraineté. La Compagnie des Indes orientales est donc l’un des maillons du grand projet colbertiste qui construit des monopoles sur toutes les routes maritimes. Constituées sous forme de sociétés par actions, ces compagnies dépendent du principe de la souscription. Et c’est bien là que surgit l’éternel problème des Indes Orientales : l’argent.

Partir pour l’Orient : les premiers balbutiements à Madagascar

Malgré le manque de trésorerie, Colbert lance les premières opérations. Tout est encore à faire : établir un port, acheter des navires, choisir des marchands, recruter des marins, identifier la route, définir des escales… Mais il est long d’organiser un armement pour les Indes. C’est ainsi qu’en octobre 1664, une première ambassade part vers l’Orient, par voie terrestre.

Lettre de La Boulay le Gout à Colbert 1666
Lettre de la Boulay Le Gout à Colbert, 1/04/1666

Première ambassade (octobre 1664)

Cinq hommes quittent la France à l’automne et traversent, à voile, à pied, à cheval et en caravane tout le continent euro-asiatique. Parmi eux, François La Boulay Le Gout et le sieur De Lalain ont le statut d’envoyés royaux. Les trois autres, les sieurs Mariage, Dupont et Bebber sont des employés de la Compagnie des Indes.

Après de longs mois de voyages, ils arrivent à Ispahan le 13 juillet 1665. Cette première ambassade, qui vise à informer le roi de Perse et le Grand Moghol de la création de Compagnie, est une mission longue, dangereuse et délicate. Pendant plusieurs mois, ces 5 hommes vivent des situations rocambolesques et tragiques, disparaissent et resurgissent dans des conditions encore pas tout à fait élucidées.

Première escadre (mars 1665)

Pendant ce temps, Colbert s’attaque à la question de l’établissement de Madagascar. Comme le prévoit l’article 29, la grande île est octroyée à la Compagnie. En mars 1665, les intendants ont recruté 230 hommes d’équipage et 288 passagers de différents métiers, âges et conditions. 4 navires sont affrétés : le Saint-Paul (300 tonneaux, 30 canons), le Taureau (300 tx, 12c), la Vierge-de-Bon-Port (300 tx et 20 c) et l’Aigle Blanc (120 tx). Ils quittent la Bretagne en direction de Madagascar.

Parmi eux, se trouvent les 3 hommes destinés à constituer le conseil provisoire de Madagascar. À bord, se trouve aussi un sous-marchand, nommé François Martin, promis à devenir l’un des personnages principaux de la Compagnie Royale des Indes Orientales. C’est notre principal témoin. En 5 mois, l’escadre touche Madagascar. Dès le mois d’août 1665, les Français commencent leur établissement sur l’île, rebaptisée Ile Dauphine.

Première désillusion (1666)

Et c’est effectivement là, sur l’île de Madagascar, que se concentrent les espoirs fous de la Compagnie des Indes. En 1664, cela fait déjà 20 ans que les marins français y font relâche. Au sud-est, un petit comptoir nommé Fort-Dauphin a été créé dès 1643. Des mémoires enthousiastes ont été publiés, des compagnies s’y sont aventurées, des hommes s’y sont installés. On imagine Madagascar comme une sorte de grand comptoir général à l’entrée de l’océan Indien. L’Ile Dauphine est destinée à être le point d’appui français en Orient, magasin général et port principal des vaisseaux de la Compagnie.

Carte de Madagascar par Etienne de Flacourt
Carte de l’Isle de Madagascar, dessinée par Étienne de Flacourt (avant 1660). BNF P178791 [Vd-1 (16)-Fol.]

Les Français pensent être en terrain connu ; mais déchantent très rapidement. Tout avait été surestimé. Le climat est délétère pour les Occidentaux, l’accueil des populations locales peut se révéler agressif, les chocs viraux et bactériologiques sont violents, la mise en culture plus difficile que prévue. Le moral et la santé des Français périclitent. Les morts sont nombreux, la famine endémique, les avaries fréquentes, le commandement instable.

Parmi ces Français désabusés de 1665, laissons le mot de la fin à François Martin qui écrit dans ses mémoires en 1668 :

« Cependant, si l’on avait été informé en France de l’état véritable de Madagascar, il est constant que l’on y aurait pris des mesures plus justes dans les commencements de l’entreprise du commerce des Indes »

Mémoires de François Martin, tome 1, p. 169

Sources :

Mémoire de François Martin, fondateur de Pondichéry (1665-1696), A. Martineau, introduction de H. Froidevaux, Paris, Société d’Éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1931 (3 volumes)

Dernis, Recueil ou collection des titres, édits, déclarations, arrêts, règlements et autres pièces concernant la compagnie des Indes orientales, Paris, 1755-1756.

Archives Nationales d’Outre Mer, Fonds Ministériels, Correspondances provenant des établissements français, COL, C2 62.

Bibliographie:

Jules Sottas, Histoire de la Compagnie royale des Indes Orientales 1664-1719, La Découvrance, 2003

Marie Ménard-Jacob, La première Compagnie des Indes, Apprentissages, échecs et héritage 1664-1704, PUR, 2016

Michel Vergé-Franceschi, Colbert, la politique du bon sens, Biographie Payot, 2003

Guillaume Lelièvre, La Préhistoire de la Compagnie des Indes 1601-1622. Les Français dans la course aux épices, Presses Universitaires de Caen, 2021

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