La Compagnie des Indes et Madagascar
Madagascar où la première désillusion de la Compagnie des Indes (1665-1667)
Lorsque la Compagnie des Indes est créée en août 1664, c’est vraiment autour de Madagascar que s’articule le projet initial. L’objectif de peuplement est explicite et le but est clairement une installation de la Compagnie des Indes à Madagascar. A la lecture des textes fondateurs, le projet colonial ne fait aucun doute. Pourtant, l’Île Dauphine est devenue la préhistoire honteuse de la Compagnie des Indes et l’historiographie récente est rapidement passée sur cet épisode peu glorieux. Cela est bien dommage. Car les quelques années de la Compagnie des Indes à Madagascar constituent un événement important dans l’histoire orientale de la France au XVIIe siècle.
Le débarquement de la Compagnie des Indes à Madagascar
Le royaume de France entretient des rapports anciens avec Madagascar. Quand la Compagnie est créée en 1664, cela fait déjà plusieurs décennies qu’on envisage un établissement français sur l’île. L’ombre des anciens projets de Fouquet plane une fois de plus sur ceux de Colbert.
Un fantasme malgache persistant
Tout ce qu’on connait de Madagascar en 1665, on le tient d’Étienne de Flacourt. Il gouverne Fort-Dauphin de 1648 à 1655 et fournit, à son retour, les cartes et observations. Il est l’auteur de l’état des lieux et des promesses de l’espace. Ainsi, quand le 10 juillet 1665, le Saint-Paul, navire amiral de l’escadre de Beausse, débarque sur l’île rebaptisée Dauphine, les Français en ont une représentation complètement idéalisée.
Ainsi, au XVIIe siècle, chacun imagine Madagascar comme une sorte d’Éden. Une île presque paradisiaque où les vivres poussent à profusion et les pierres précieuses sont en abondance. Un espace qui se mériterait en somme. Il y a quelque chose de presque mystique quand les agents et officiers évoquent le lieu où ils débarquent.
Une île traversée d’épisodes européens
La plupart des Européens connaissent Madagascar. Anglais, Hollandais et Portugais l’ont convoitée chacun leur tour avant de l’abandonner. Ici ou là, en 1665 on rencontre parfois des hommes de toutes ces nations. Anciens marins rescapés d’un naufrage, marchands déchus d’une Compagnie, voyageurs curieux qui ne sont jamais repartis. Mais les Européens les plus présents dans la plus grande île de l’océan Indien restent les Français.
Effectivement, depuis 1642, des compagnies de Madagascar ont été créées successivement sans qu’aucune d’elles ne soit pérenne. Depuis 20 ans, des navires partent de France (d’ailleurs le capitaine du Taureau a déjà fait la route en 1656). Le dernier vaisseau est arrivé en 1663. Ainsi, en 1665, il y a déjà sur place un gouverneur à Fort-Dauphin, un Supérieur de la maison des Missionnaires, quelques soldats, gentilshommes ou matelots. Les hommes de l’escadre arrivent dans un espace déjà occupé, et chacun pense qu’il ne sera question que d’affermir cette présence française.
Le lourd passif des Français sur l’île Dauphine
Qu’est-ce que trouvent les Français de l’escadre de Beausse en arrivant sur place ?
Les hommes : chefs de milice et soldats de circonstances
En 1665, une centaine de Français vivent à Madagascar, majoritairement dans le nord et sur la petite île de Sainte-Marie. Ceux de Fort-Dauphin dans le sud ne sont pas très nombreux et sont divisés. D’ailleurs, la première chose que font les Français qui débarquent est de compter les morts. Pour certains agents, l’arrivée des vaisseaux de la Compagnie des Indes à Madagascar est un grand soulagement. Mais rapidement, ces anciens habitants habitués à une certaine liberté vivent assez mal l’autorité qui leur est imposée. Plus gênant encore, ceux qui avaient le pouvoir rechignent à passer le relai.
Les infrastructures : constructions de fortune et habitations sommaires
C’est ainsi que les Français de 1665 découvrent d’abord le Fort-Gaillard érigé à Galemboule au nord. Force est de constater que l’établissement se situe dans une zone malsaine et marécageuse. A la fin de l’année 1666, François Martin déplace d’ailleurs l’Habitation dans un endroit plus sain. En outre, il faut se méfier de la rade de Galemboule, dangereuse pour les vaisseaux. L’ensemble des Français vivent là ou dans l’île Sainte-Marie dans des cases sommaires, que certains ont néanmoins aménagées confortablement.
Au sud de l’île, le Fort-Dauphin fait figure de chef-lieu. C’est une construction carrée, avec 2 bastions élevés de cailloux sur le côté nord et une enceinte faite que de pieux. Une petite chapelle a été érigée dans le fort. Le gouverneur a sa maison et son jardin. Un magasin, une cuisine de pierre, des cases et quelques maisons élevées de planches complètent l’Habitation. Mais autour du fort, la région est désolée.
Les indigènes : seigneurs menacés, païens convertis, chefs contrariés
Effectivement, pendant deux décennies, les exactions françaises sur l’île ont été violentes. Les raids organisés à l’intérieur des terres ne se sont pas toujours bien terminés. Monter les différentes tribus les unes contre les autres pour les asservir, n’a pas très bien fonctionné. Ils sont nombreux les matelots devenus soldats, les marchands devenus chefs de troupes à avoir perdu la vie dans ces affrontements.
Par ailleurs, soumettre les seigneurs du pays au christianisme n’a pas nécessairement été bien accueilli. Les missionnaires de la maison Saint-Lazare, amenés par d’anciens navires, ont payé cher leur prosélytisme. L’idée de convertir, par la persuasion ou par la menace, un seigneur comme Dian Mananghe, s’est achevée dans le sang. Cela esquisse déjà le fourvoiement des Missions Étrangères ou des Jésuites dans l’affaire de Siam 20 ans plus tard.
Ainsi en 1665, les malgaches sont extrêmement méfiants envers les Français.
L’épreuve de la vie à Galemboule et Fort-Dauphin
Et pourtant, la condition de subsistance des Français ne peut passer que par des ententes et des marchés avec les Malgaches. Impossible de ne recourir qu’à la force pour se procurer des vivres. C’est donc avec le troc qu’il faut envisager de trouver de quoi se nourrir. Et pour cela, il faut s’entendre.
La déliquescence du conseil souverain de la Compagnie des Indes à Madagascar
Dès l’installation du conseil souverain en juillet 1665, les esprits s’échauffent entre Français. Que faire des officiers déjà sur place? Le gouverneur de Fort-Dauphin, Champmargou, avait reçu sa charge du maréchal de la Meilleraye. Cet homme brutal accueille sans enthousiasme les documents officiels pour le relever de ses fonctions sur l’île. Pour l’amadouer, la Compagnie lui offre un poste au salaire considérable : capitaine commandant toute la milice de l’île avec une voix au conseil souverain. Il finit par accepter après quelques circonvolutions, mais la tension est palpable à Fort-Dauphin.
Le vieux président de Beausse, âgé de 77 ans, frère utérin de Flacourt, débarque très malade. Malgré cela, le vieil homme veut absolument se réserver l’ensemble du gouvernement de l’île. Il laisse le moins de place possible aux autres, retient les informations et favorise ses neveux qui ont embarqué avec lui (dans la plus pure tradition népotique). De Beausse, qui se rêvait vice-roi, meurt en décembre 1665. Il est suivi par son second, puis par des capitaines et officiers.
A l’automne 1666, le commandement est tellement fragile à Fort-Dauphin qu’on craint une révolte dans l’Habitation et un soulèvement des Indigènes.
La récurrence de la faim
Par ailleurs, les mémoires d’avant 1660 promettaient dans le nord de l’île, à Galemboule, une profusion de vivres et particulièrement de riz. Les Français découvrent les marécages et les crocodiles, convaincus pourtant que ça ou là surgira un gisement de pierres précieuses. En 1666, on liste encore ce que Madagascar produit ou pourrait produire :
- la soie ;
- le tabac;
- le coton ;
- les cuirs ;
- l’indigo ;
- l’ambre gris ;
- la gomme de Takamaka ;
- l’encens ;
- le benjoin ;
- le poivre ;
- l’huile de palme ;
- les coquilles et coquillages ;
- l’ébène.
Peu de provisions de bouche finalement. Les Français de l’ancienne Compagnie n’ont pas réalisé autant de mises en culture qu’il aurait fallu. Dès 1666, on plante de la vigne et du blé pour assurer la subsistance des années à venir. Toutefois, les pénuries s’installent. Le Nord devait nourrir le sud mais la traite de riz se passe mal. Les agents de la Compagnie sont mauvais payeurs ; par conséquent les malgaches cachent leurs denrées. Officiers et marchands en sont à jouer les seigneurs de l’île les uns contre les autres pour négocier quelques barils. Des troupes sont envoyées dans les terres pour ramener du bétail.
L’omniprésence de la mort
Ainsi, les Français ont faim quand ils ne meurent pas ; car on meurt beaucoup de 1665 à 1667. Dès décembre 1665, au nord de l’île, les agents tombent malades quasiment tous en même temps. Il y a ceux qui décèdent de maladie bien sûr, avec des fièvres fulgurantes qui les emportent en quelques jours ; et ceux qui restent plusieurs mois alités. Il y a aussi les morts suspectes. La peur de l’empoisonnement est réelle. On craint de mourir intoxiqué suite à une altercation ou une querelle de pouvoir. Il y a aussi ceux qui se noient lors des petits trajets entre différents points de l’île. Et puis il y a les assassinats. Lors de mission de reconnaissance, après un naufrage, au cours d’un assaut contre une tribu, dans un guet-apens, il y a tous ceux qui meurent « sagayés ». La sagaye, arme des malgaches, est particulièrement redoutable.
Cette mortalité, qui touche grands officiers et petits commis, a de lourdes conséquences. Fort-Dauphin vacille sans commandement stable. Certains navires prennent la mer sans officier vivant pour les commander. De simples matelots deviennent pilotes, des commis s’improvisent sous-marchands. La Compagnie des Indes à Madagascar se délite avant même de s’être installée.
En janvier 1666, un houcre (petit voilier de transport) nommé le Saint-Louis, arrive à Fort-Dauphin. Il annonce l’arrivée prochaine d’une grosse escadre d’une dizaine de navires, chargée de marchands, de directeurs et de moyens. C’est la relève de Madagascar. L’escadre de Mondevergue arrivera en mars 1667 sur l’île, mais à ce moment-là il ne restera plus grand-chose des grands espoirs de 1665.